7 erreurs à éviter en recrutement (à la limite du légal)

Les talents d’Achil : Samantha Bordas

Certaines pratiques courantes en recrutement peuvent être (presque) illégales. Cet article vous aide à les repérer et à les corriger, exemples et conseils concrets à l’appui.

La plupart du temps, les recruteurs pensent bien faire. Souvent, ils suivent des automatismes. Parfois, sans s’en apercevoir, ils frôlent la ligne rouge.

Et oui. Certaines pratiques courantes en recrutement peuvent poser un vrai souci, d’un point de vue éthique, juridique ou tout simplement humain.

Des erreurs qui relèvent clairement du droit. D’autres qui flirtent avec l’illégalité sans que cela ne saute aux yeux. Ouvrant grand la porte aux discriminations, aux biais ou aux injustices.

Des techniques à risque explorées avec Samantha Bordas, recruteuse passée par l’intérim, le conseil et désormais indépendante au sein du collectif Achil. Passionnée par les questions de justice et de droit du travail, elle nous partage son expérience et ses convictions.

Un joli tour d’horizon de 7 erreurs quelquefois invisibles, à repérer et à corriger.

Erreur 1 : Indiquer « junior » ou « senior » dans une offre d’emploi

Parce que dans l’usage, notamment en tech ou en conseil, ces termes font partie du jargon et parce qu’en anglais, « junior » sonne mieux que « débutant », il est donc très tentant d’y avoir recours.

Seulement, dans le langage de tous les jours, ces mots peuvent renvoyer à l’âge et susciter de l’ambiguïté.

Résultat : des biais inconscients s’éveillent chez les lecteurs et viennent potentiellement restreindre inutilement le champ des candidatures.

Samantha : “Junior/senior, ce sont des termes qui créent de la confusion. Ce n’est pas neutre. Et surtout, ça peut faire obstacle à des candidatures qui sortent du cadre, comme les profils en reconversion.”

Comment faire autrement ?

Selon Samantha, mieux vaut préférer des formulations telles que « débutant » ou « confirmé », qui soulignent l’expérience, plutôt que l’âge. Il est aussi important d’expliciter les compétences attendues et non pas imposer un nombre d’années d’expérience, au risque de supposer un niveau d’ancienneté. L’idée étant de viser une annonce plus inclusive.

Erreur 2 : Associer inconsciemment certains métiers à un genre

Encore aujourd’hui et de manière automatique, des postes peuvent être associés à un genre.

Si vous pensez « ingénieur », « commercial », « PDG », « plombier » : votre cerveau visualise probablement un homme.

Ces stéréotypes ancrés alimentent les discriminations, même involontaires, à la lecture d’un CV ou au cours d’une évaluation en entretien.

Ce que ça produit :

  • Moins de femmes considérées pour des postes techniques ou à responsabilité,
  • Moins d’hommes pour des métiers du soin, de l’éducation ou bien des RH,
  • Un recrutement appauvri, biaisé, peu représentatif du monde tel qu’il est.

Pour Samantha, tout commence par un travail de déconstruction : “On doit analyser nos propres représentations. Si je pense spontanément à un homme quand j’entends “directeur commercial”, c’est que j’ai un travail à faire.”

Et ça passe par :

  • Mettre en place des grilles d’analyse objectives et factuelles,
  • Dégenrer les fiches de poste et les référentiels de compétences,
  • Utiliser des formules neutres (ex : « expert.e » ou « responsable de… »)

Dans le cas d’une entreprise comme Free, la question du genre n’est pas un sujet secondaire : c’est un axe structurant de leur politique RH. Pour féminiser les métiers techniques historiquement occupés par des hommes, l’entreprise et ses équipes RH agissent. De l’écriture inclusive des offres, à la valorisation de profils féminins dans ses contenus marque employeur, en passant par des partenariats avec France Travail.

Erreur 3 : Écarter un candidat à cause de son lieu d’habitation

Refuser un candidat parce qu’il vient d’une zone jugée « compliquée » reste une discrimination. En effet, le lieu de résidence est un critère reconnu au même titre que l’origine, le sexe ou l’âge (article L1132-1 du Code du travail).

Samantha confirme : “Il y a beaucoup de recruteurs qui pensent bien faire en valorisant la proximité géographique, mais en fait, ils jouent avec le cadre légal.”

Des exceptions ? Oui, mais très rares.

  • Pour un poste d’astreinte ou d’intervention urgente, pour lequel la distance compte,
  • Pour des contraintes de mobilité, si objectivement incompatibles avec le poste.

Samantha le rappelle : “Le vrai sujet doit rester la faisabilité des horaires et des trajets, pas le code postal. Demandez-vous alors, est-ce que le lieu d’habitation a un impact réel sur la tenue du poste ? Si la réponse est non, mieux vaut s’abstenir.”

Et côté candidat, elle recommande d’ailleurs d’indiquer sa mobilité plutôt que son adresse entière sur le CV.

Erreur 4 : Poser des questions orientées en entretien

Le problème, c’est que, en plus de limiter l’analyse des compétences, les questions orientées guident la réponse du candidat et renforcent le biais de confirmation.

Elles peuvent même révéler des préjugés discriminatoires.

Par exemple :

  • « Vous êtes véhiculé, j’imagine ? » : possible discrimination par rapport au lieu de résidence ou à une situation de précarité,
  • « Vous avez des enfants, mais je suppose que vous gérez ? » : on ne pose pas toujours cette question à un homme, c’est une supposition sexiste,
  • « Vous êtes jeune et dynamique, non ? » : glissement vers un critère d’âge.

Samantha : “Sur des postes en tension, comme business developer, les candidats veulent le poste. Alors ils disent ce que le recruteur veut entendre. Si tu poses une question dirigée, tu crées une forme de manipulation.”

Qui dit questions orientées, dit réponses biaisées et donc une mauvaise évaluation des compétences, voire, de mauvaises surprises à l’arrivée du candidat dans l’équipe.

La solution ?

Samantha, formée à l’École du Recrutement, est une fervente adepte de l’entretien structuré.

Elle défend des questions ouvertes, comportementales, du type “parlez-moi d’une fois où…”, qui laissent au candidat la place d’expliquer, de nuancer, de démontrer.

Samantha : “Ce n’est pas au candidat de deviner la bonne réponse. C’est au recruteur de poser les bonnes questions.”

Erreur 5 : Faire une prise de référence sans accord, sans recul, sans méthode

Contourner l’accord d’un candidat pour une prise de référence, c’est illégal. Point.

Osons le dire. La prise de référence fait débat depuis toujours dans l’écosystème du recrutement. Car elle soulève aussi des problèmes d’objectivité et d’éthique.

C’est vrai. On peut légitimement penser qu’une prise de référence basée uniquement sur le ressenti d’un ex-manager va renforcer des biais cognitifs.

Les plus fréquents :

  • Biais d’affirmation : le recruteur cherchera à confirmer une intuition (positive ou négative).
  • Biais d’affinité : si le manager “ressemble” au recruteur, son avis semblera plus crédible.
  • Biais de récence : un incident récent prendra trop de poids.

Samantha elle-même ne pratique pas les prises de références à la légère. Si elle en fait, c’est avec méthode. 4 précisément à appliquer :

  1. Toujours demander l’autorisation du candidat, même si la référence est listée sur le CV.
  2. Multiplier les points de vue, avec minimum 2 à 3 interlocuteurs si possible.
  3. Structurer la prise de référence, à l’instar de l’entretien structuré, avec des questions comportementales et une grille d’évaluation.
  4. Recouper, relativiser, prendre du recul, car aucun avis ne doit être pris comme une vérité absolue.

Samantha : “Si tu appelles une référence et qu’elle critique un ancien collaborateur resté 5 ans chez eux, pose-toi la question : pourquoi l’avoir gardé si longtemps ? ça ne reste qu’un ressenti, un exemple. Et un exemple, ce n’est pas un fait. C’est pourquoi je veille à croiser les sources, car pour moi, un seul retour n’est pas suffisant pour que ce soit qualitatif.”

Erreur 6 : Juger un candidat sur son style écrit, son ton ou sa réactivité

Que ce soit dans les mails, les messages, en appel, sur le CV, en entretien, on peut facilement projeter un jugement sur le professionnalisme ou la motivation d’un candidat en se basant sur des critères très subjectifs.

Un point d’exclamation en trop, une formule perçue trop familière, une faute d’accord, un délai de réponse de 3 jours et le verdict tombe : Pas motivé. Pas pro.

Samantha : “À tort, on juge la forme plus que le fond. Mais on ne connaît ni le contexte, ni la personne. Peut-être qu’elle a simplement répondu vite entre 2 rendez-vous, ou était distraite par une préoccupation personnelle.”

Pourquoi c’est risqué ?

  • Parce que les codes de communication ne sont pas universels (sociaux, culturels, générationnels),
  • Parce qu’un style écrit ne reflète pas une compétence métier,
  • Parce que des profils très qualifiés peuvent passer à la trappe pour de mauvaises raisons.

Et si on évaluait ce qui compte vraiment pour le poste ?

  • Se concentrer sur le fond du message (clarté, logique, posture),
  • Prendre en compte le contexte éventuel, après tout, on ne sait pas ce qu’il se passe dans la vie des gens,
  • Se poser la question : “Est-ce que ce critère est décisif pour le poste ?”

Samantha : “Un recruteur qui confond orthographe et performance risque de se priver de très bons candidats.”

Erreur 7 : Voir la période d’essai comme un test à sens unique

Des entreprises continuent de considérer la période d’essai comme un outil à leur seul service, telle une marge de manœuvre pour se garder une porte de sortie.

Elles oublient que cette période est réciproque. C’est également un moment où le candidat évalue l’entreprise, son cadre, ses promesses, son accompagnement.

Samantha : “Ce n’est pas un temps de mise à l’épreuve, c’est un temps d’ajustement. Des 2 côtés. Et oui, un candidat peut aussi demander à renouveler sa période d’essai.”

Samantha émet quelques rappels légaux sur la période d’essai :

  • Le renouvellement doit être prévu dans le contrat initial et validé par écrit par le salarié avant la fin de la période initiale,
  • Le Code du travail fixe des durées maximales – on ne peut donc pas faire n’importe quoi,
  • En cas d’interruption (maladie, congé, etc.), la prolongation doit être justifiée, formalisée et notifiée.

Mais ce qui compte tout autant, c’est l’expérience vécue pendant cette période.

Samantha : “On ne peut pas dire à un candidat qu’il sera formé, puis lui coller un e-learning de 3h et un lien Notion. C’est non. Un bon onboarding, c’est ce qui fait la différence.”

Il est temps de repenser la période d’essai, en faire un chemin de co-construction, pas une épreuve.

  • Prendre la période d’essai comme une phase de découverte et d’échange mutuel,
  • Définir un cadre clair, avec des points d’étape : attentes, objectifs, feedbacks réguliers,
  • S’assurer que le candidat dispose aussi des clés pour dire oui (ou non) à la suite,
  • Mettre en place le rapport d’étonnement pour recueillir à chaud le regard du candidat sur son intégration, détecter les écarts entre promesses et réalité, puis ajuster ce qui peut l’être.

Samantha : “L’enjeu, ce n’est pas de voir si “ça passe”. C’est de vérifier si on avance ensemble.”

Quand recruter ne rime plus avec illégalité, mais responsabilité

Les erreurs présentées ici ne sont pas toujours malveillantes. Mais elles peuvent avoir des conséquences très réelles :

Discrimination involontaire.

Expérience candidat dégradée.

Risque juridique pour l’entreprise.

Ce n’est finalement pas une question de bonne intention, c’est une question de responsabilité.

Dans un quotidien RH où tout va vite, il faut prendre le temps d’interroger ses automatismes. Le meilleur réflexe, c’est de remettre régulièrement en question ses pratiques, avec une grille de lecture juridique et humaine.

Avec ces questions comme boussole :

“Est-ce légalement fondé ?”

“Est-ce humainement juste ?”

“Est-ce vraiment pertinent pour le poste ?”

Et si cet article devenait votre point de départ pour mieux recruter dans les règles ?

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